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Comment créer une “safe place” en soirée ? Deux collectifs queer racontent leurs méthodes

 

On sort pour écouter de la musique, danser, draguer... Certainement pas pour se faire agresser. Pourtant, les violences font encore trop souvent partie du paysage nocturne. Attouchements, insultes, discriminations racistes et LGBTphobes... Pour les empêcher, certains collectifs prennent les devants. Et mettent en place des modes opératoires bien rodés pour créer des safe spaces, des espaces où tout le monde se sent en sécurité. En première ligne, les superbes fêtes lesbiennes Wet for Me du collectif Barbi(e)turix et les Kindergarten, soirées queer parmi les plus déjantées de Paris. Voici les conseils des organisateurs pour garantir la sérénité des fêtard·e·s. 

 

Wet for me
Une soirée Wet for Me photographiée par Marie Rouge

 

Par Trax Magazine
En partenariat avec la Electronic Music Factory

 

« Un espace safe, c’est un espace dans lequel on peut évoluer comme on veut, peu importe son âge, sa sexualité, son genre, sa race », explique Tiggy Thorn. C’est aussi, il l’espère, ce à quoi ressemblent les soirées Kindergarten, qu’il co-organise depuis deux ans à Petit Bain à Paris. Dans ces événements queer fantasques où les trois quarts des fêtard·e·s viennent déguisé·e·s, il tient à ce que tout le monde puisse se lâcher sans avoir peur de se faire incommoder. « On vise un public queer qui a tellement de problèmes à s’habiller comme il veut, à vivre son amour comme il veut… Le club est censé être l’endroit où l’on sort de son quotidien infernal, où l’on peut se lâcher, se sentir enfin libre. Et c’est d’autant plus important pour ceux qui ne sont pas dans la norme ».

Les problématiques sont les mêmes pour Rag, directrice artistique et physio des soirées lesbiennes Wet For Me, qu’elle décrit comme « un espace commun pour les filles, un lieu où elles prennent le contrôle ».

Comment éviter dragues lourdes, rapprochements non consentis, insultes, agressions ? Ces questionnements devraient concerner les organisateur·rice·s de tous les événements nocturnes, mais c'est aujourd'hui dans les milieux queer qu'on y réfléchit le mieux. 

 

En amont : vérifier qui l’on accepte dans sa soirée

 

On aura beau travailler sur la scénographie pendant des semaines, c'est connu : ce qui fait toute l'ambiance d'une soirée, c'est le public et son attitude. Quand il s'agit d'assurer la sécurité, on peut bien sûr choisir de filtrer, et de refuser ceux qui semblent agressifs ou trop ivres. Pour ce faire, Rag préfère ne pas mettre trop de préventes en ligne, afin de pouvoir faire sa sélection à la porte. « C'est pour cela que c’est important d’avoir un bon physio, ça ne s’improvise pas ! La “Wet” s’adresse d’abord aux lesbiennes, je veux qu’elles viennent en priorité. Du coup, je ne vends qu’un tiers des places en prévente, et souvent via des groupes privés avec des codes d’accès. Parce que ça m’est déjà arrivé de devoir refouler à l’entrée un groupe de mecs qui me semblaient agressifs, alors qu’ils étaient venus avec leurs préventes. C’est humiliant et désagréable pour eux. » Si elle laisse passer des hommes, Rag tient à leur faire comprendre certaines règles : « Je leur demande s’ils savent ce qu’est une soirée lesbienne. Quand on est un homme dans cet espace-là, mieux vaut se faire petit, faire attention quand on danse à laisser la place aux autres. »

 

Briefer l’équipe du club

 

Ce public qui compose la fête, c’est aussi le staff : vigiles, employé·e·s du bar… De l’avis de Rag comme de Tiggy Thorn, il est essentiel de les “briefer”, de leur demander d’être réactif·ve·s à la moindre agression, et de respecter eux-mêmes les client·e·s. « On a de la chance parce qu’on garde toujours la même équipe de vigiles, et qu’elle est super. On lui a bien fait comprendre qu’elle n’est pas là pour fliquer les filles, mais pour assurer leur sécurité. Et ça change tout ! », se félicite Rag. Même son de cloche chez Tiggy Thorn, qui demande aux vigiles de sourire et d’être aimables envers les client·e·s. 

Dans ces espaces où tout peut déraper, il est essentiel de rester vigilant tout au long de la nuit. L’équipe de Kindergarten placarde sur les murs du club parisien Petit Bain des affiches A4 toutes simples, sur lesquelles il est rappelé que l’homophobie, la transphobie, le sexisme et le racisme sont bannis ici. Une piqûre de rappel censée montrer que la lutte contre les discriminations est une priorité des organisateurs. Et qu’à tout moment, celui ou celle qui se sent agressé·e peut aller se plaindre en s’assurant qu’on le prendra au sérieux. À la Kindergarten comme à la Wet for Me, la réaction de l’équipe organisatrice est sans appel : on met dehors celui ou celle qui est suspecté·e. « Je prends le risque de croire celle qui se dit victime, même si je n’ai pas de preuves. C’est une façon de me montrer protectrice », assure Rag.

 

Être à l'écoute des clubbeur·se·s

 

Être à l'écoute, cela se joue aussi une fois les fêtard·e·s rentré·e·s chez eux. Après les soirées, les organisateurs reçoivent souvent des messages de plaintes, parfois concernant des discriminations. Il est primordial d’en prendre compte. « Je réponds toujours aux messages, je présente mes excuses s’il y a eu un problème », explique Rag. 

Avec toutes ces mesures, comment s’assurer d’éviter les agressions ? On ne peut pas, estime Tiggy Thorn. « Après avoir longtemps réfléchi sur le sujet, on est arrivés à la conclusion qu’un lieu safe, c’est impossible à bâtir seul. On fait tout pour, mais ça dépendra toujours du public, car une soirée, ça se construit ensemble. » Malgré tout le mode opératoire mis en place, chacun reste responsable de son comportement. En bref, la sécurité des clubbeur·se·s, c’est l’affaire de tous – des clubbeur·se·s y compris.

 

C. Laborie

 

30 octobre 2019