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Les femmes dans la musique électronique : du talent à revendre… mais de la visibilité à conquérir

 

Les musiques électroniques n’ont jamais eu vocation à n’être jouées que par des hommes. Alors comment justifier le faible pourcentage de femmes derrière les platines ? Depuis Daphne Oram, pionnière de la musique concrète dans les années 60, nombreux sont les obstacles qu’elles doivent surmonter pour s’imposer dans un milieu dominé par les hommes. Mais les temps changent et de plus en plus de femmes font reconnaître leur talent, de Chloé à Nina Kraviz, de Jennifer Cardini à Lena Willikens, en passant par Ellen Allien, The Black Madonna, Deena Abdelwahed, Peggy Gou, ONYVAA, Volvox, Flore, Sama, Irène Dresel et bien d’autres. Et pourtant, tout ne va pas de soi…     

 

Femmes et Musiques électroniques
© Bernard Bodo

 

Le 8 mars dernier, le restaurant À la folie dans le Parc de La Villette, réunissait la scène féminine et queer des musiques électroniques, pour débattre en cette journée internationale des droits de la femme. En rappel étaient évoqués les propos sexistes de Konstantin dans une interview en juillet 2017. Le DJ allemand déplorait que les femmes DJs soient favorisées alors qu’elles sont, assénait-il tout de go, moins douées que les hommes. L’événement avait joué un rôle d’électrochoc, juste avant l’éclosion du mouvement #metoo et de l’affaire Weinstein, déclenchant une plus grande prise de conscience de la filière électronique et un début de changement des habitudes.

Dès 2014 pourtant, Georgia Taglietti, qui dirige la communication du Sonar festival à Barcelone, créait shesaid.so, réseau de femmes travaillant dans la musique. Aux côtés d’Andreea Magdalina, alors en poste au sein de la plateforme de streaming Mixcloud, elle constatait la sous-représentation des femmes sur scène comme dans les postes à responsabilité de l’industrie musicale. « Même nous, les femmes, avons pris des habitudes, nous cantonnant aux postes de communication ou d’administration. On développe enfin une critique contre ces systèmes existants. » Cette année l’IMS, important forum de musiques électroniques à Ibiza, sera présenté en partenariat avec shesaid.so, une première. Les musiques électroniques, qui comptaient certainement il y a 20 ans encore moins de femmes que dans d’autres styles musicaux, réagissent donc aujourd’hui avec d’autant plus de force. « Mais même si les hommes y sont beaucoup plus sensibles, la traduction en actions est lente. Ça dépend aussi des cultures nationales. C’est pour ça qu’on ouvre des shesaid.so locaux, comme dernièrement en Turquie, et bientôt en Inde ou en Afrique du Sud… »

 

« Des artistes femmes, il y en a plein ! »

Marine de Bruyn, cheffe de projet au Bureau Export, a participé à la création de l’antenne française de shesaid.so, début 2017. A l’époque, elle travaille pour le label anglais Warp. Seule représentante à Paris, elle se sent parfois isolée dans ses rapports professionnels : « À force de ne voir que des hommes aux postes importants, on finit par intégrer la situation. Grâce à shesaid.so, on fait ce que les Anglo-saxons appellent de l’empowerment. On organise des actions de networking, de formation, on va lancer un annuaire de femmes référentes, on crée des relais en régions, à Nantes, Marseille, Lyon, Toulouse… On est plus visibles. » Le groupe Facebook de shesaid.so France compte déjà 2800 membres et le Google Group, son centre névralgique, 300 membres actives.

Une démarche que Mathilda Meerschart, responsable de la communication du cabaret Sauvage, a déclinée à sa façon. Jeune activiste des musiques électroniques, notamment avec ses célèbres soirées queer Possession, elle a créé le groupe Woman’s Speech sur Facebook. À la différence de shesaid.so, sa plateforme se concentre uniquement sur les musiques électroniques et le soutien à la programmation d’artistes femmes ou queer. « La clé du succès c’est de toujours chercher. On me dit il n’y a pas d’artistes femmes. C’est faux ! il y en a plein. Mais il faut se forcer à les découvrir. Ma finalité serait de faire un festival avec une programmation de 80% de femmes et 20% d’hommes, car je n’ai pas envie de faire des femmes pour faire des femmes. »

Ce que Violaine Didier redoute de son côté. Rare programmatrice d’un événement de musiques électroniques d’envergure en France, avec 16 ans à la programmation du festival lyonnais Nuits Sonores, elle est aujourd’hui Coordinatrice des programmes et responsable du Fonds Arty Farty. Elle fait partie de celles que l’on entend moins, parce que mal à l’aise avec les quotas : « Avec cette discrimination positive, on biaise la démarche et on finit par faire des compromis sur la programmation. Les quotas, c’est mieux que rien, mais ça ne doit pas être la seule solution car ce n’est pas la bonne. Sanctionnons déjà les abus avérés, comme les différences entre les salaires masculins et féminins. Quant à la représentation des femmes dans les différents secteurs d’activité, il est important de distinguer le naturel du culturel, afin de mieux traiter le sujet. »

 

« Sanctionnons déjà les abus avérés ! »

Bénédicte Froidure, directrice et programmatrice de la salle File7 en Seine et Marne, met en garde : « Attention à ce que l’analyse ne soit pas un prétexte à ne pas avancer. On connaît les tendances, il est temps de passer à l’action ». Alors qu’elle dirigeait La Cave aux Poètes à Roubaix, elle a repris en parallèle des études pour pallier un sentiment d’illégitimité dans sa fonction. Résultat, un mémoire de Master à l’Université de Lille, intitulé « Musiques actuelles : les femmes sont-elles des hommes comme les autres ? », qui recense dès 2011 les thèmes et analyses à l’œuvre aujourd’hui.

Désormais seule femme à la tête d’une scène de musiques actuelles (SMAC) en Ile-de-France, elle s’engage : « Il y a parité parmi les élèves au conservatoire, mais dès l’adolescence, quand la pratique s’autonomise, les filles disparaissent et on ne les retrouve plus dans les studios de répétitions. A File7, nous mettons en place un dispositif d’accompagnement sur l’égalité homme/femme. On a analysé nos statistiques et on fixe des objectifs et des leviers pour les atteindre. Sur les musiques électroniques, on a créé des ateliers Ableton (logiciel musical, NDR) exclusivement réservés aux filles, qui peuvent être plus à l’aise quand elles se sentent moins jugées. »

La DJ lyonnaise Flore Morfin a été la première femme à être certifiée par Ableton, en 2016. Pourtant, elle s’est alors entendu dire que c’était justement parce qu’elle était une femme. Elle forme aussi aux instruments du constructeur Native Instruments, qui a approché shesaid.so afin de préparer des formations à destination des femmes. « Au début des années 2000, j’ai beaucoup appris dans les modes d’emplois et sur les forums. Puis je me suis découvert le goût de la pédagogie. Et c’est vrai que les femmes viennent plus volontiers à mes formations, pour environ 1/3 de mes effectifs. » Bénédicte Froidure insiste sur la mise en avant de ces modèles féminins : « Il est nécessaire de faire émerger les femmes emblématiques du genre, le matrimoine. C’est pour ça qu’on accueille à File7 l’exposition de la Sacem sur Les femmes dans la création musicale ». Ce qui est l’affaire de tous. Car comme le dit le manifeste shesaid.so : « Les hommes sont nos alliés ». Et il reste du boulot !

 

Olivier Pellerin