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Fermeture des clubs : le monde de la nuit gagné par un sentiment d’injustice

 

Comme un air de déjà-vu. En pleine cinquième vague de Covid-19, les clubs sont, encore une fois, les premiers établissements visés par les restrictions sanitaires. Après avoir annoncé une fermeture de quatre semaines en décembre, le gouvernement vient de repousser au 24 janvier la réouverture des boîtes de nuit. Dans toute la France, les professionnels du secteur s’inquiètent des conséquences économiques, et se sentent une fois de plus pointés du doigt.

7 janvier 2022

 

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© Le Viet Photography

 

Par Trax Magazine

En partenariat avec la Electronic Music Factory

 

Pierre d’Estienne D’Orves, connu comme DJ house et Nu jazz sous l’alias de Tour Maubourg, attendait le jeudi 16 décembre avec une impatience particulière. La date était notée dans son agenda : son premier « All Night Long », une nuit entière de sets au Badaboum, dans le 11e arrondissement de Paris. « On discutait de cet événement depuis le printemps 2020, j’avais préparé pleins de nouveaux morceaux à présenter au public », se souvient le musicien belge avec amertume. La nouvelle est tombée lundi 6 décembre : à l’issue du Conseil de défense sanitaire, le Premier ministre, Jean Castex, a annoncé la fermeture des quelques 1 200 boîtes de nuit françaises, à partir de vendredi 10 décembre et pour quatre semaines. Le 29 décembre, ces restrictions ont été prolongées de trois semaines, jusqu’au 24 janvier 2022. Pierre, qui gagne sa vie en tant qu’auto-entrepreneur et essaye d’acquérir le statut d’intermittent du spectacle, est inquiet. « Cela fait dix ans que je travaille dans la musique, je ne sais rien faire d’autre. Mais aujourd’hui, je me demande si les confinements vont revenir comme ça tous les ans. On est dans un entre-deux très inquiétant », rapporte le DJ, qui devrait passer les prochaines semaines en studio, à travailler ses prochains morceaux, sans vraiment savoir quand il pourra les présenter sur scène. 

La plupart des gérants de clubs, DJs, barmen et techniciens du monde de la nuit s’en doutaient, après les annonces similaires faites ces dernières semaines en Belgique, en Irlande et en Allemagne. Mais la nouvelle n’en est pas moins difficile à digérer. Ces nouvelles restrictions rappellent à tous de très mauvais souvenirs. 

 

Perdre 20 % du chiffre d’affaires annuel en un mois

Dans un communiqué, le Collectif Culture Bar-Bars, qui a créé en 2020 sa branche « Club Culture » pour la reconnaissance des clubs comme des établissements culturels, proteste vertement contre cette décision gouvernementale. Il dénonce la stigmatisation des clubs, présentés comme des espaces « intrinsèquement dangereux », alors que la fête pourrait être « renvoyée dans l’espace privé », où aucune règle sanitaire ne serait appliquée. Les gérants de discothèques plaident pour une réactivation des aides et un retour à l’activité « partielle » pour lutter contre l’enlisement du secteur. Emmanuel Macron, interpellé par un patron de discothèque à Vierzon, a assuré que les établissements seraient « indemnisés de manière exemplaire pour tenir durant cette période ». 

Car pour une filière déjà exsangue, ces nouvelles restrictions, même de courte durée, devraient avoir des conséquences dévastatrices. « Au mois de décembre, les gens font habituellement beaucoup la fête, ils ont besoin de se retrouver. En cette période, on fait habituellement 20 % du chiffre d’affaires annuel de l’établissement », se désole Simon Boisson, co-gérant du Warehouse, club situé sur l’Île de Nantes depuis 2017. Les mêmes protocoles qu’au printemps 2020 sont mis en place, avec les mêmes incertitudes. « Nous allons mettre une partie de notre personnel en chômage partiel, mais cela ne fonctionne que pour les employés en CDI. Pour les techniciens, les graphistes, les photographes qui sont indépendants ou intermittents, aucune indemnisation n’est prévue. Après près de deux ans de pandémie, nous avons déjà des emprunts colossaux, et on doit démarrer le remboursement en mars », s’inquiète le directeur technique.

Chez tous les professionnels de la nuit, le sentiment dominant est le même : l’impression de faire du sur place, comme si rien n’avait été appris depuis le début de la crise sanitaire, et comme s’il restait rigoureusement impossible de se projeter dans l’avenir. « Pour nous, c’est l’incompréhension complète », insiste Simon Boisson. « C’est comme si le gouvernement nous visait pour donner l’impression d’agir face à l’épidémie, mais ça n’a aucun sens. » Les établissements engagés dans le mouvement Club Culture sont aujourd’hui en lien avec le ministère de la Culture, pour essayer d’anticiper les turbulences à venir. « Tout serait tellement plus simple si on pouvait être prévenus un peu plus en avance », se désole Simon Boisson, qui se demande si le Warehouse pourra réellement rouvrir ses portes le 24 janvier. « La dernière fois, en mars 2020, on nous a dit que ça durerait deux semaines. Ça a duré un an et trois mois ».

 

C. Laborie