Faut-il connaître le solfège pour (mieux) faire de la musique électronique ?
Faut-il savoir lire et écrire la musique pour créer ? À l’heure où les logiciels de musique sont incroyablement intuitifs et le matériel de plus en plus accessible, qu’apporte l’apprentissage du solfège aux artistes ? Antoine Martineau, formateur Ableton Live, OKLou et Fakear, tous deux anciens du conservatoire, se sont penchés sur la question.
Par Trax Magazine
En partenariat avec la Electronic Music Factory
« Triolet, triolet, triolet, noire ». Nombreux sont les artistes à avoir expérimenté le solfège en conservatoire ou à l’école de musique. Souvent, avec un instrument qui n’est plus le leur aujourd’hui. La formation musicale, ce sont des dizaines d’heures par mois à apprendre à jouer, mais aussi l’harmonie ou la lecture sur partition. Heureusement, la musique n’a pas attendu d’être lue pour être jouée – bien au contraire. Et depuis un demi-siècle, ce sont au tour des machines, synthés et autres logiciels de permettre à chacun de jouer aux apprentis sorciers du son. Aujourd’hui, des outils aussi intuitifs qu'Ableton Live, Logic Pro ou ProTools font de la musique une science... à la portée de toutes et tous.
Orienter la création
Mais alors, qu’apporte l’apprentissage du solfège à la création musicale ? « Le conservatoire, j’ai adoré ça », affirme la musicienne et productrice OKLou, qui travaille actuellement sur son album. Entre les murs du conservatoire de Poitiers, elle y a appris le piano et le violoncelle de manière très académique. « C’est des mathématiques, le solfège », explique-t-elle. « C’est comme quand tu fais un Sudoku, ça travaille ta logique ». Mais bien heureusement, cela n’est pas pour autant indispensable à la création. « Savoir lire la musique est un truc de musique savante européenne. Partout dans le monde, on crée de la musique sans savoir ni la lire, ni l’écrire. » Pour elle, l’apprentissage théorique de la musique permet surtout d’orienter la création. « C’est comme savoir faire un exercice de géométrie », décrit-elle. « Il y a des formules, des choses à respecter et à la fin, quand tu fais l’exercice, tu l’appliques. Savoir lire la musique, c’est la comprendre en théorie. » Mais la pratique, c’est autre chose.
Gagner du temps
Pour Antoine Martineau, qui enseigne les bons usages du logiciel Ableton Live au conservatoire de Tours, l’étude des codes musicaux est avant tout un gain de temps. « On va ensuite moins passer de temps à chercher à l’oreille ce que tel son, tel accord représente et pourquoi il est important à cet instant T. » Toutefois, s’il confirme que le solfège est primordial pour jouer du jazz ou de la musique classique, Antoine Martineau est moins catégorique quant à la musique électronique. La raison ? « Dans ce genre musical, on va aussi travailler davantage les textures ou les rythmes que les harmonies et les accords. » Alors, l’apprentissage classique de la musique permettrait avant tout de se sentir moins limité, d’aller plus loin. « Sans cela, ce sera plus difficile de reproduire ce que l’on a fait à tâtons sur le logiciel, quand on a cliqué un peu à droite, un peu à gauche… » Son expérience d’enseignant de MAO confirme d’ailleurs sa théorie : « C’est plus fastidieux pour mes élèves qui n’ont pas fait de solfège ».
« Se coltiner toutes ces années de solfège, de théorie, c’est ce qui permet ensuite de se sentir à l’aise », acquiesce le producteur et beatmaker Fakear. Selon lui, apprendre la musique est une étape nécessaire avant de savoir quoi dire, cela rend la création moins tâtonnante, moins aveugle. « Je me mets à la place de quelqu’un qui n’a pas de théorie musicale : s’il trouve un truc cool, une recette un peu magique, il peut vite tomber dans des impasses. Ça peut être difficile de se renouveler ». L’apprentissage de la musique, lui a, au contraire, permis de se remettre en question musicalement. Alors pour le Caennais, qui prépare la suite de son album All Glows, oui, le solfège est indispensable pour savoir « au moins lire la musique ». « C’est comme une langue », ajoute-t-il. Or pour voyager, ne vaut-il pas mieux avoir quelques bases d’anglais ?
Propos recueillis par Angèle Chatelier