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De l’underground aux grandes radios : quand les musiciens électroniques produisent pour des artistes pop et rap

 

Saint DX et Damso, SebastiAn et Charlotte Gainsbourg, Phazz et Orelsan… Certains des plus grands tubes rap et pop de ces dernières années ont été produits par des musiciens électroniques. Des compositeurs venus de l’underground, qui sortent de leurs studios pour se frotter au monde des majors et trouver la recette de tracks taillés pour les radios. Mais comment ces mondes si différents ont-ils appris à communiquer, et qu’ont-ils à s’apporter mutuellement ? Duñe, Crayon, Lazy Flow et Bamao Yendé nous racontent les secrets de leur travail auprès de Meryl, Ichon ou Pongo. 

17 novembre 2023

 

© Golubovy

 

« Quand je produis pour quelqu’un d’autre, je suis le chauffeur. Les artistes savent où ils veulent aller, mais c’est moi qui conduis. » C’est par cette métaphore automobile que Crayon, connu pour ses tracks house planants, résume son rôle de producteur auprès de rappeurs comme Ichon, Gracy Hopkins, Prince Waly ou Josman. Les beatmakers ont toujours eu un rôle primordial dans l’histoire du hip-hop. Aujourd’hui, les musiciens électroniques s’immiscent dans cette industrie pour enrichir un genre musical de plus en plus hybride et ouvert aux expérimentations. « Tout se fait de manière très organique, ça passe par des sons plus que par des mots. On se retrouve au studio, je compose au piano… C’est parfois totalement chamanique et aléatoire », résume Crayon. 

Pour des artistes pop ou des chanteurs français, les labels ont aussi pris l’habitude de se tourner vers des producteurs électroniques, connus pour leur avant-gardisme et leur créativité. Lazy Flow, connu pour ses DJ sets ultra dansants mêlant house, baile funk et soca, considère que la scène nourrit son travail de producteur : « En tant que DJ, je suis sur le terrain, j’expérimente de nouvelles sonorités, l’effet qu’elles ont sur le public. Je ne vois pas la musique de la même manière qu’un rat de studio, enfermé avec ses machines », s’amuse-t-il. 

 

De l’underground au monde des majors

C’est d’ailleurs lors d’un mix à la soirée « la Créole » que Lazy Flow a été repéré par la directrice artistique de Pongo, chanteuse de kuduro signée chez Virgin Music. L’occasion de faire ses premiers pas dans un univers créatif totalement différent du sien. « J’ai commencé par un séminaire, une sorte de camp d’écriture de cinq jours dans une maison en Normandie, avec d’autres producteurs, des musiciens, un topliner, la chanteuse… Ça m’a paru très protocolaire, mais c’était ultra enrichissant », se souvient Lazy Flow. Quand des artistes habitués à produire des albums entiers seuls depuis leur studio sont introduits dans le processus de fabrication bien plus codifié de musiques destinées à devenir des tubes, le choc des cultures peut demander un temps d’adaptation. « Je viens de l’underground, je me retrouve avec des gens qui ont des disques de platine, c’est un vrai challenge », remarque Lazy Flow, qui s’est d’abord fait connaître pour ses sets endiablés dans le milieu du voguing, à Paris. Après le séminaire, il a étendu son réseau, et travaillé pour des rappeuses comme Meryl et Maureen. 

 

Trouver l’inspiration 

Une fois réunis en studio, les producteurs doivent trouver un moyen de communiquer, d’établir un langage commun avec les artistes. Pour Bamao Yendé, créateur du label Boukan Records, l’essentiel est de maîtriser à 100 % son propre univers musical pour pouvoir se mettre au service d’autres univers. « J’ai d’abord cherché à travailler seul pour trouver mes propres techniques, mes propres repères. J’ai trouvé cette vibe très r’n’b, un peu aquatique, avec des sons filtrés, cotonneux », explique le musicien d’origine camerounaise. Quand il décide de collaborer avec Lala&ce, Meryl ou Rad Cartier, tout l’enjeu est alors de « travailler (s)a pâte pour la rendre plus générique, la mettre au service de l’artiste, comprendre ses désirs et les combler. C’est comme ça qu’on peut faire de nouvelles hybridations encore plus novatrices », insiste-t-il. Une fois en studio avec un artiste, l’enjeu est aussi « de se comprendre, d’arriver sur les mêmes fuseaux. Pour ça, le mieux est de se détendre, d’écouter du son, de trouver des zones d’intérêt, des émotions communes. Ça permet d’avoir le sentiment de faire équipe, avant de se lancer dans la création à proprement parler », explique Bamao Yendé. 

Duñe, qui a travaillé avec Twenty9, Ehla, Vendredi sur Mer et Swing, a pris l’habitude de demander aux artistes de lui envoyer une playlist avec leurs références pour établir une base de travail. « Le but, c’est de débloquer des idées pour construire quelque chose d’original. En studio, on entend souvent des phrases du genre : “Et si on faisait un track à la Billie Eilish ?” C’est un peu un piège : il faut à la fois être hyper au courant de ce qui se fait pour avoir un temps d’avance, mais rester créatif et ne pas tomber dans le plagiat », explique le producteur, connu pour sa house intimiste. 

 

De la lumière à l’ombre

Pour les musiciens électroniques, cette nouvelle activité permet un gain de visibilité et un complément de revenus non négligeables. Pour ce travail, ils sont à la fois payés en cachet d'intermittent pour le temps passé en studio, et crédités en part auteur-compositeur s'ils ont participé à la création du morceau. « Quand ce sont des artistes très streamés, qui passent en radio, font de grosses tournées, ça peut amener une vraie source de revenus mensuelle », reconnaît Lazy Flow. Ce travail de l’ombre, au service d’un autre, constitue parfois un temps de respiration, loin de ses propres aspirations artistiques : « Pour moi, c’est une manière de s’exprimer différemment, en touchant un plus large public. Être toujours sur le devant de la scène, c’est compliqué. D’une certaine manière, c’est une sécurité de passer dans l’ombre, d’être moins exposé par moments », confie Lazy Flow. Car parfois, se dédier aux projets d’un autre permet de retrouver sa propre créativité. « En ce qui concerne ma propre musique je suis très perfectionniste, ça peut prendre beaucoup de temps. Travailler pour d’autres, ça me permet de rester actif, d’être dans une dynamique constructive. Quand un artiste est content du travail que j’ai fait pour lui, c’est tellement gratifiant que ça me nourrit énormément », remarque Crayon, qui continue, en parallèle de ses productions rock, soul ou hip-hop, de travailler sur son prochain album.