Cinq innovations technologiques qui ont révolutionné le monde de la musique électronique

 

Par Trax magazine
En partenariat avec Electronic Music Factory
7/11/2018

 

Cet article est également publié sur le site du magazine TRAX.
Par Quentin Sedillo

 

L'épopée des musiques électroniques est intimement liée à celle des révolutions technologiques. Si les grands tournants de ces 20 dernières années d'innovation et de démocratisation ont été cruciaux, en voici cinq "qui ont fait du son du futur la musique d'aujourd'hui".

 

L'histoire de la musique électronique est par nature indissociable de celle des mutations technologiques. Des grandes découvertes du XIXe siècle comme les ondes radio ou l'électromagnétisme, à la révolution informatique ou encore celle des synthétiseurs, elle a toujours fait office de précurseur, en s'appropriant et captant le flux du futur à t-1, juste avant qu'il ne se répande sur le monde. Mue par la volonté d'anticiper demain, et l'imagerie cybernétique de ses acteurs − on se souviendra des disques cosmiques des pionniers The Martian ou Jeff Mills − cette musique mutante a depuis voyagé sur des années lumières, et atteint des niveaux de perfectionnement qui chatouillent l'entendement. Voici cinq innovations technologiques et autant de grands tournants qui ont marqué l'histoire de ce que Daft Punk appelait, en 1997 "the sound of tomorrow, the music of today".

 

Au commencement : Le MIDI

MIDI. Un mot qu'on entend partout, d'une manière aussi naturelle que peut l'être le branchement ou la mise en marche d'un synthétiseur. Pourtant, rien n'aurait été possible sans la création de ce protocole de communication entre instruments. Le Musical Instrument Digital Interface est un langage, une manière de pouvoir contrôler, synchroniser n'importe quelle machine via une autre machine, ou son ordinateur. En paramétrant à son gré ce que va être le son de "sortie", n'importe qui peut désormais faire jaillir une percussion, une basse, une flûte d'une simple pression sur un synthétiseur relié à son ordinateur. Ce procédé, créé en 1983, a été une vraie révolution qui a mené à l'avènement du "home studio", et d'une infinité de producteurs en herbe, qui ont pu dès lors dépasser dans leur chambre ou leur cave les possibilités qu'offraient les studios d'enregistrement classiques. En enterrant le "one man, one instrument", le MIDI a permis aux jeunes Jeff Mills ou Juan Atkins d'être aussi puissants qu'un orchestre, rien qu'avec leurs deux mains.

Spot commercial de Roland présentant la boite à rythmes TR-808 (1980)

 

Du vinyle aux platines numériques, le mix libéré

S'il est bien un symbole emblématique de la musique électronique, c'est l'image d'un disc-jockey aux commandes de ses platines. Or à nouveau, les évolutions technologiques ont participé aux mutations exponentielles de la pratique du mix. Ainsi, si les platines japonaises Technics, commercialisées dès 1978, sont restées jusqu'au milieu des années 90 l'instrument phare des platinistes, l'avènement du CD puis du CD-ROM va changer la donne. C'est l'entreprise Pioneer qui prend la tête en 1994 avec la CDJ-500, capable de lire les dits CD, mais aussi d'apposer les fameux "points cue", permettant de revenir à n'importe quel moment d'un morceau par la simple pression d'une touche. Avec la CDJ-1000 en 2001, Pioneer s'impose définitivement comme une référence, grâce à deux innovations qui ont fait de ses platines un standard : le fameux jogwheel, qui permet de scratcher, et de caler le CD comme on le ferait sur un vinyle, ainsi que la visualisation du morceau sous forme d'onde.

Spot télévisé de la firme nippone Technics présentant sa platine (début 80's)

 

Les logiciels de synthèse, révolution de la production musicale

Si le protocole MIDI a pu engendrer tant de générations de musiciens et amener à la création de la house et la techno des années 90, une autre vague survenue en 1999 est venue donner un second souffle à la manière de produire la musique électronique, et surtout à la manière de la jouer en live. Les logiciels de synthèse sonore comme Max/MSP, et plus tard Ableton (2001), ont élargi encore davantage l'horizon qu'avait offert le MIDI. Avec leurs banques de sons immenses, la capacité de superposer une infinité de pistes MIDI et de synchroniser leur tempo automatiquement (pour Ableton), de créer et modifier à l'envi ses propres effets sonores (comme une reverb ou une saturation) ces softwares "tout en un" ont poussé la démocratisation de la musique à son paroxysme, non sans s'attirer certaines critiques de la part des puristes soucieux de cette trop grande facilité d'accès à la production.

Robert Henke aka Monolake, co-créateur d'Ableton, explique le fonctionnement du sampler intégré au logiciel (2006)

 

Le mp3, un son immatériel et voyageur

Alors que le CD inonde les clubs du monde entier, reléguant les Technics sur le banc de touche, une autre révolution va à nouveau réduire les conditions d'accès au matériel et le temps d'apprentissage : le mp3. Grâce à ce format de compression du son, chacun peut loger dans la poche d'un manteau une bibliothèque de plusieurs milliers de morceaux stockée sur une clé USB, loin des vinyles bags pesants. Les constructeurs électroniques se ruent d'emblée vers l'or, en créant les logiciels de mix comme Final Scratch, Traktor Scratch, Djay ou Serato, capables de gérer une telle quantité de matière sonore. Par leur facilité d'usage, leur coût bien inférieur à celui des platines CDJ, la capacité qu'ils offrent à quiconque de pouvoir réaliser un mash-up, un remix à partir de sons téléchargés en quelques minutes, ils ont parachevé le voyage de la musique électronique. Des caves underground de Detroit, c'est désormais dans chaque chambre, dans chaque salon qu'elle repose. Et grâce à la légèreté du format mp3, couplée à l'avènement du peer-to-peer, chaque appartement est maintenant devenu un potentiel foyer de diffusion musicale illimité.

Démonstration de Traktor Studio par "Dj Magix" (2006)

 

La planète Internet

Bien sûr, Internet a aujourd'hui chamboulé nos manières de concevoir le monde, brisé les frontières et ouvert de nouveaux espaces de communication. Très tôt, les acteurs de la musique électronique n'avaient pas tardé à saisir ses incroyables capacités de diffusion. Dès le début des années 2000, les mélomanes électro s'emparent des blogs, devenus "blogs-mp3", et partagent coups de coeurs, raretés et nouveautés. Vers 2004, Internet suscite l'engouement des musiciens par sa capacité à "médiatiser le format du mix" : les sets des DJ's, auparavant réservés au public venu assister à la performance, commencent à inonder le web sous forme de podcasts, avant d'être dépassés par le streaming. Grâce à SoundCloud, MixCloud, Youtube, chaque set ou live est désormais accessible à n'importe qui, n'importe où. Le succès est retentissant, en témoigne l'explosion des plateformes comme Boiler Room ou Cercle. Internet, c'est aussi une toute nouvelle dimension communautaire et collaborative : avec le site Discogs est née la plus grande base de données musicale de l'histoire, regroupant plus de 8 millions de CD, cassettes ou vinyles en 2017. Et avec elle, une incroyable communauté d'acheteurs, vendeurs, critiques, qui peuvent désormais échanger, partager en temps réel, telle que les pionniers de l'épopée électronique n'auraient jamais pu l'imaginer.

Le set du musicien ZULI au Caire, "streamé" via la plateforme Boiler Room (2017)